Histoire de l’harmonica Invention, commerce et usages

Cette page tente de résumer près de 250 ans d’histoire de l’harmonica dans une chronologie d’évènements sociaux et musicaux aux contours souvent poreux. La frontière entre précision et vulgarisation étant parfois difficile à délimiter, les faits sont ici présentés avec une approximation toute relative. Les extraits sonores sont consultables par simple clic sur les icônes « haut-parleur » et les documents visuels via les pastilles en tête d’encadré. Cliquer sur une image permet de l’agrandir et d’en consulter les détails. La chronologie est divisée en cinq chapitres.

1780 - 1880
Contexte de son invention et production européenne
1780

1780  La machine de Kratzenstein

Lors d'une compétition annuelle organisée en Russie par l'Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg, le docteur Kratzenstein présente une machine à vent capable de reproduire le son des voyelles à l'aide d'anches libres et de tuyaux. L'ingénieur allemand remporte le premier prix mais le modèle se détériore rapidement. Le principe de l'anche libre était déjà utilisé dans des instruments traditionnels comme la guimbarde, le sheng chinois ou le khene thaïlandais, mais il s'agit ici du premier conçu en Europe.
1790ca

1790ca  Les travaux de Vogler

L'abbé Vogler découvre la machine de Kratzenstein en 1788 et se lance alors dans des travaux visant à simplifier la mécanique des orgues à l'aide d'anches libres métalliques. Pendant une dizaine d'années, cet organiste et compositeur allemand voyage à travers l'Europe et encourage de nouveaux fabricants d'orgues à suivre son système de simplification en ajoutant des jeux d'anches libres à leurs instruments, dans le but d'en réduire le coût et l'encombrement tout en améliorant leur expressivité.
1810

1810  L'orgue expressif de Grenié

Inspiré par le système de simplification établi par Vogler, le français Gabriel-Joseph Grenié (1756-1837) dépose à Paris en 1810 le brevet de l'orgue expressif. Ce dernier fonctionne uniquement avec des anches libres métalliques vibrant chacune au sein d'un tuyau dédié. Sa particularité est de permettre à l'organiste de nuancer le jeu à l'aide de deux pédales controllant la quantité d'air envoyée sur les notes graves et aiguës de manière indépendante. Plusieurs évolutions dépourvues de tuyaux se développeront jusque dans les années 1840 sous différents noms : le physharmonica, l'harmoniflute, puis l'harmonium. Voici un extrait joué par Joris Verdin sur un orgue expressif construit par Achille Müller en 1834.

1837 – Alexandre Boëly “Mélodie pour orgue expressif”
1824
-30

1824-30  L'harmonica à bouche

Des instruments à bouche consistant en une plaque métallique sur laquelle sont montées des anches libres commencent à apparaître vers 1824 à Vienne et Brunswick sous le nom de harpe à bouche (mundharfe) ou harmonica à bouche (mundharmonika). Ils sont très vite repérés et sont reproduits à Paris et Madrid, mais aussi à Londres et New York où ils seront appelés aeolian ou aeolina. De copie en copie, ils deviendront plus complexes, offrant des arpèges multiples ou des gammes diatoniques et chromatiques. Un sommier apparaît sur les modèles de la fin de la décennie, permettant d'isoler plus aisément les notes à faire sonner. Une fois le sommier de l'harmonica en place, l'idée apparaît de combiner deux plaques d'anches de part et d'autre d’un sommier pour créer un instrument bisonore de taille réduite. Avec un arpège soufflé et un autre aspiré, l'instrument offre une gamme diatonique complète sur peu d'espace.
1829

1829  Les instruments dérivés

Le fabricant d'orgue Cyrill Demian dépose à Vienne en 1829 le brevet de l'accordéon, qui tient son nom des accords qu'il produit grâce aux dix plaques d'harmonicas actionnées par un soufflet à main. L'instrument est bisonore, produisant un accord différent selon que l'on ouvre ou referme le soufflet. Plus tard cette même année, l’anglais Charles Wheatstone invente à Londres le symphonium, un petit instrument qui combine l'usage de la bouche et celui des doigts. Fin 1829 il invente le concertina, un instrument unisonore connu aujourd'hui sous le terme de concertina “english”. Le concertina bisonore qui fut inventé en 1834 par l'allemand Carl Friedrich Uhlig est connu aujourd'hui sous le nom de concertina “anglo-german” ou simplement “anglo”.
1830
-50

1830-50  Les premières entreprises

Après le krach boursier de 1829 de nombreux horlogers allemands et autrichiens font face à une crise du marché des coucous et horloges traditionnelles. Certains se reconvertissent sur le plan professionnel dans la fabrication d'harmonicas en créant chacun leur propre entreprise. Citons en exemple celles qui assureront les productions les plus importantes et qui pour la plupart seront rachetées par Hohner au cours du siècle à venir. Seules les sociétés Thie et Seydel y échapperont.

• 1830 – Christian Messner à Trossingen
• 1834 – Friedrich Wilhelm Thie à Vienne
• 1844 – Matthias Friedrich Hotz à Knittlingen
• 1847 – Christian August Seydel à Klingenthal
• 1855 – Christian Weiss à Trossingen
• 1857 – Matthias Hohner à Trossingen
• 1867 – Andreas Koch à Trossingen
1857

1857  Matthias Hohner

Matthias Hohner, un horloger de Trossingen en Allemagne, probablement formé par Messner, constate que les fabricants n'arrivent pas à satisfaire la demande croissante. Il se lance dans la production d'harmonicas bon marché avec un unique employé et vend 650 unités dès la première année, soit 10 à 15 fois plus que la concurrence. Il commence à envoyer quelques uns de ses modèles aux États-Unis en 1862. Dix ans après avoir lancé son activité, en 1867, Hohner produit déjà 22 000 harmonicas de toutes sortes chaque année.
1860ca

1860ca  Le système Richter

Aujourd'hui le terme Richter désigne un type d'accordage dans lequel le registre grave de l'instrument présente une gamme défective au profit d'un accord de dominante, tandis que le registre aigu est tributaire d'un décalage par rapport à l'octave centrale. Mais lorsque le terme apparaît dans la seconde moitié du 19e siècle, il désigne plutôt un système de construction de l'instrument : un sommier en peigne pris entre deux plaques de lamelles simples, chaque paire aspirée/soufflée partageant la même chambre. Ce système Richter s'opposait alors au système de Vienne dont le sommier présentait une chambre individuelle pour chaque lamelle, ou au système de Klingenthal qui reprend des caractéristiques du viennois et du Richter. Si de nombreuses légendes tenaces sont encore racontées aujourd'hui à son sujet, personne ne peut dire avec certitude qui était ce Richter. Plusieurs portaient ce nom à cette époque : Joseph, Johannes, Emmet ou Anton, le plus souvent originaires de Haida en Bohême — aujourd'hui Nový Bor en Tchéquie. Il reste donc toujours un mystère.
1860
-70

1860-70  L'harmonica à double lamelles

Les sources varient quant à la date et à l'inventeur de l'harmonica double. Friedrich Wilhelm Thie (1803-1869) aurait découvert le principe de l'harmonica à doubles lamelles accordées au trémolo à Vienne en 1841, mais selon d'autres ce cerait son fils Wilhelm Anton Thie (1833-1905) qui aurait inventé ce concept en 1857 ainsi que la façon dont les notes sont placées sur les modèles trémolo viennois. Quoi qu'il en soit les modèles les plus anciens retrouvés aujourd'hui datent de la fin des années 1860. Quant à l’harmonica à doubles lamelles accordées à l'octave, il aurait vu le jour en 1847 grâce à Matthias Friedrich Hotz (né en 1820), mais là encore les modèles les plus anciens retrouvés datent des années 1860. Ce type d'harmonica porte le nom de Klingenthal ou “Full Concert” et a une construction différente du modèle viennois. Hotz est également à l’origine de l’utilisation du laiton pour les lamelles, une idée qui sera reprise par Hohner lorsqu'il entendra les qualités sonores de ces modèles.
1868

1868  La désapprobation académique

En 1868, les instruments à anches libres comme l'harmonica ne sont pas très bien considérés dans les milieux académiques. Le Dictionnaire de l'Académie des Beaux-Arts explique alors : “L'anche libre [...] permet [...] de produire ce qu'on est convenu d'appeler des nuances d'expression. Mais ces nuances, sans accent, sans vie, et d'une qualité de son sans consistance, ne peuvent satisfaire que le vulgaire, et n'intéressent pas les artistes sérieux. [...] En résumé, le son de toute anche libre, quoique doux et assez séduisant au premier abord, ne tarde pas à provoquer une sensation fade, fatigante, et qui n'est pas du vrai domaine de l'art. Cette sorte d'anche est comme une fibre molle qui cède à la moindre pression, mais qui n'est pas en communication avec les ressorts mystérieux de l'âme.”
1873

1873  L'harmonica en Suisse

Le peintre suisse Albert Gos, dans son livre “Souvenirs d'un peintre de montagne” publié en 1942, raconte un séjour au Lac d'Oeschinen en 1873 : “Lorsqu'il pleuvait [...] on se réfugiait dans la Wohnstube [i.e. salon], et je prenais mon violon. Un jeune berger sortait de sa poche un petit harmonika à bouche et m'accompagnait. Il tirait de son instrument des sons extraordinaires ; c'était un enchaînement de roulades, des arrêts, des reprises toujours rythmées, sans hésitation. Cette technique est spéciale aux joueurs d'harmonika de la montagne ; elle est du reste inimitable, comme le serait l'accent spécial d'un patois… C'est par la langue qu'ils obtiennent ces variétés d'intonations mélodiques, par la langue et le souffle. Ils tiennent leur instrument, qui est toujours petit (ils méprisent les grands), enfermé dans les deux mains, lesquelles, par moment, s'entrouvrent ou se resserrent selon les crescendos. Une telle assurance soutient leur jeu qu'ils ne dansent jamais bien qu'avec l'harmonika. On dirait qu'un lien absolu existe entre leurs pas de danses et le rythme de l'instrument.”
1875ca

1875ca  L'harmonica en Amérique

Aux États-Unis, l'harmonica arrive après la guerre civile tandis que le pays s'industrialise rapidement. Les revenus des foyers augmentent et les catalogues de vente à distance se développent. L'harmonica ne coûte que quelques cents, ce qui le rend très abordable pour beaucoup de gens qui ne peuvent se payer un instrument plus classique ni suivre des heures de cours. L'harmonica est donc accueilli par bon nombre de musiciens d'horizons culturels différents et il commence à apparaître sur les photographies de l'époque.
1880 - 1920
Succès américain et exportation mondiale
1878

1878  La production de masse

Les premières machines pour tailler les peignes, fraiser et riveter les anches apparaissent, grâce notamment à un brevet déposé en 1878 par Julius Berthold de Klingenthal. C'est le début de la production de masse des harmonicas dans toute l'Allemagne. Les entreprises vont voir leurs chiffres de production et leurs nombres d'employés croître de façon exponentielle lors des prochaines décennies. Les exportations depuis l'Allemagne vers le monde entier s'accélèrent pour tous les continents sans exception.
1880
-90

1880-90  Le train du Richter

En 1879, Matthias Hohner constate lui-même que ses modèles Richter sont particulièrement appréciés aux États-Unis. Dès les années 1880 les catalogues de vente par correspondance favorisent l'acquisition d'harmonicas par le grand public. L'instrument devient un cadeau idéal pour les enfants, comme en témoigne une peinture du canadien Ozias Leduc. L'usage de l'harmonica se répand donc, notamment dans le Sud-Est des États-Unis où le blues commence à apparaître. L'instrument y remplace progressivement le violon dont il parvient à reprendre les sonorités plaintives. Le compositeur W. C. Handy fait d'ailleurs partie de ceux qui, enfants, possédaient un harmonica et imitaient le train ou la chasse au renard. Ce genre d'effets rendu possible par le système Richter devient un incontournable de l'harmonica blues. On en trouve aussi la trace en 1891 dans le journal de Saint-Louis qui raconte comment un afro-américain de Sprinfield imitait le train lors d'un concours. Plus tard, des joueurs comme DeFord Bailey ou Sonny Terry se distingueront dans cet exercice.

1927 – Train – DeFord Bailey “Pan American Blues”
1938 – Chasse – Sonny Terry “Lost John”
1885
-99

1885-99  L'harmonica chic

La popularité de l'harmonica est telle qu'il est aussi considéré comme un accessoire de mode. Celui-ci se retrouve en effet incrusté dans des cannes d'apparat, s'affiche fièrement sur des portraits ou des publicités pour cigarettes et rejoint les groupes de salon. Il reste cependant un instrument de musique à part entière, joignant le chic au festif, servant par exemple à faire danser lors de rassemblements mondains. De même, les cannes-harmonicas que l'on trouve en France et en Angleterre à cette époque sont tout à fait fonctionnelles, certaines offrant un harmonica bisonore complet tandis que les prototypes ne se jouaient qu'en soufflant.
1901

1901  Hohner à New-York

Au début du 20e siècle, tandis qu'il y a plus de 40 entreprises d’harmonicas en Allemagne pour un total d'environ 7000 salariés, Hohner décide d'ouvrir son premier bureau américain à New York, dirigé par Hans Hohner, un des fils de Matthias Hohner. Notons que le futur président américain Calvin Coolidge sera un joueur d'harmonica réputé dans les années 1920. En revanche le président Abraham Lincoln (1809-1865) est souvent cité comme joueur d'harmonica, mais aucun document ne peut en attester. Il s’agit donc probablement d’un mythe, au regard de l'arrivée de l'instrument en Amérique peu de temps seulement avant sa mort.
1904
-08

1904-08  Les premiers enregistrements

C'est en en 1904 à Londres que le tout premier enregistrement d'harmonica fut gravé sur cylindre de cire. On peut y entendre Pete Hampton jouer, chanter et siffler, l'harmonica étant utilisé pour amuser l'auditeur. Le jeu est en effet vif, avec des altérations, des cris et une technique très particulière où le musicien utilise le nez pour jouer afin de pouvoir siffler par la bouche en même temps. La deuxième personne à enregistrer est un certain Professeur Dickens en 1908 à Melbourne en Australie, avec une suite d'airs traditionnels. Celle-ci se conclut sur un air anglais du 16e siècle connu aujourd’hui sous le nom de “Irish washerwoman”.

1904 – Pete Hampton “The Mouth Organ Coon”
1908 – Professor Dickens “Mouth Organ Medley”
1907

1907  Un nouvel accordage

Jusqu'alors, les harmonicas étaient tous globalement accordés selon le même modèle, celui que l'on nomme aujourd'hui accordage Richter mais qui à l'époque n'avait pas de nom car c'était la norme. Ce n'est qu'en 1907 que l'accordage aujourd'hui appelé “Solo” apparait dans un brevet déposé par William Benjamin Yates à Alviso en Californie. Il y présente un harmonica dont l'ambitus s'étend sur 12 trous en répétant 3 fois à l'identique le schéma de l'octave centrale du Richter. Cette répartition deviendra plus tard l'accordage privilégié pour l'harmonica chromatique, ce qui participera à son émancipation longtemps attendue par Hohner.
1910

1910  L'harmonica chromatique

Depuis les différents essais d'aeoline chromatique à la fin des années 1820, plusieurs prototypes d'harmonicas chromatiques ont vu le jour, sans jamais remporter l'approbation du public. Mais Hohner, qui cherche à séduire les milieux académiques, continue d'expérimenter. En 1898, un premier modèle de chromatique 10 trous avait vu le jour, le Up-To-Date, avec un ressort sur la gauche. Mais l'instruemnt est difficilement jouable et les ventes ne suivent pas. En 1910 Hohner présente un nouveau modèle, avec une glissière et un bouton à ressort externe sur la droite. Le modèle est clairement une avancée significative, mais les ventes ne sont pour l'instant toujours pas à la hauteur des espérances du fabricant.
1911

1911  Les chiffres Hohner

Témoins de l'engouement pour l'instrument, les chiffres de production des fabriques d'harmonicas Hohner ne cessent de croître et atteignent en 1911 les 8 millions d'unités par an, réparties sur 24 usines de 2500 employés au total. La société affiche fièrement cette évolution dans ses campagnes de communication, afin de mettre en avant auprès du public sa capacité de production mais aussi son avance face aux autres concurrents.
1912

1912  Le porte-harmonica

Même s'il est beaucoup associé aujourd'hui aux chanteurs comme Bob Dylan ou Neil Young, le porte-harmonica — qui permet d'utiliser l'harmonica sans les mains afin de jouer d'un autre instrument en même temps — est apparu dès le début du 20e siècle. On le retrouve chez plusieurs musiciens ayant enregistré dans les années 1920 : Daddy Stovepipe, Henry Whitter, Frank Hutchinson… Sur cette photo signée John Boyd (1898-1926), on peut voir un violoneux aveugle à Toronto utilisant un l'accessoire pour jouer de l'harmonica et du violon dans la rue afin de récolter quelques pièces.

1924 – Daddy Stovepipe “Sundown Blues”
1924 – Henry Whitter “Coming 'round the Mountain”
1927 – Franck Hutchinson “Stackalee”
1914

1914  Tombo et Yamaha

Importé d'Allemagne au Japon dès les années 1880, l'harmonica était alors appelé le “fifre occidental”. Il faut attendre 1910 pour qu'un artisan nommé Oseisha fabrique le premier harmonica japonnais à Tokyo. Il vend alors sa méthode de fabrication ainsi que ses machines à la société de jouets Koyodo Mano Shoka — fondée par Seijiro Mano — qui créera par la suite ses propres harmonica en 1917 en tant que nouvelle société baptisée Tombo — “libellule” en japonais. Entre-temps, la société Yamaha — fondée en 1891 par Torakusu Yamaha — crée ses propres modèles dès 1914 et commence à les exporter de suite contrairement à Tombo.
1915

1915  Le jeu en position

On appelle jeu en position le fait de jouer dans un ton différent de celui de l'harmonica. Le premier exemple date de 1915. Arthur Turelly enregistre alors “Toreador March” avec un passage en 4e position. S'il s'agit de la plus ancienne source documentée, il est très probable que certaines de ces pratiques étaient déjà présentes bien avant. Les dates suivantes ne correspondent donc qu'au premier enregistrement recensé pour chaque position usuelle — hormis la première position enregistrée dès 1904.

1915 – 4e – Arthur Turelly “Toreador March”
1923 – 2e – Henry Whitter “Rain Crow Bill”
1927 – 12e – Alvin Gautreaux “Ain't Love Grand”
1928 – 5e – William McCoy “Central Tracks Blues”
1929 – 6e – Eddie Mapp “No No Blues”
1951 – 3e – Little Walter “Lonesome Day”
1916
-18

1916-18  Pendant la Grande Guerre

L'harmonica est très présent pendant la Première Guerre mondiale. Deux ans après le début du conflit, le poète écossais Joseph Lee (1876–1949) ecrit “The Mouth Organ” en hommage au soldat et joueur d'harmonica Willie Brough qui sera tué à la battaille de Passchendaele en 1917. Le pseudonyme de Jimmy Morgan qui lui est attribué est une référence à une chanson publiée en 1914 et intitulée “Jimmy O'Morgan on his little mouth organ”. Le poème de Joseph Lee nous donne une idée du type d'airs qui étaient joués en Écosse à cette époque sur l'harmonica — quick steps, strasthpeys, etc.
1920 - 1930
L'instrument le plus vendu au monde
1923

1923  L'harmonica au Brésil

L'allemand Alfred Hering crée la première usine d'harmonica du Brésil en août 1923 à Blumenau, une colonie allemande depuis 1850. Les affaires fonctionnent bien et les premières exportations auront lieu en 1940. La société Hering sera ensuite rachetée par Hohner en 1966, lui permettant ainsi de profiter de nouvelles machines et des technologies de la marque allemande. Elle sera de nouveau reprise par des groupes brésiliens en 1979.
1924

1924  Borrah Minevitch

Le premier enregistrement commercial d'harmonica chromatique date d’août 1924. Il s’agit du morceau “Hayseed Rag” joué par le Dizzy Trio de l'harmoniciste new-yorkais d'origine biélorusse Borrah Minevitch sur un harmonica chromatique 10 trous non valvé — celles-ci n'apparaitront que bien plus tard. Cette absence permettait à l'époque de produire quelques altérations de même amplitude que celles du diatonique. Hohner profite du disque pour lancer une nouvelle campagne publicitaire pour son invention et l'intérêt du public pour ce modèle se fait enfin sentir après plus d'une décennie d'existence. Mais ce sera la commercialisation en 1930 d'un modèle moins fragile et plus réactif grâce à son ressort interne, décliné en version 12 trous et accordage Solo, qui permettra au chromatique de s'émanciper et aux ventes de véritablement décoller.

1924 – Borrah Minevitch “Hayseed Rag”
1925

1925  Le style irlandais

À Ballygow, dans le Sud-Est de l’Irlande, Phil Murphy a 8 ans quand sa mère lui offre un harmonica. Il apprend des airs avec ses voisins frère et sœur Henry et Statia Bowe, un duo accordéon-violon. Il aura plus tard 4 fils (Nick, John, Pat et Pip). John et Pip apprendront très tôt avec lui, mais chacun utilise sa propre technique. Ils ont été champions d'Irlande : Phil dès 1969, John en 1973 et Pip en 1980. Ils ont enregistré un album en 1989 à peine 3 semaines avant le décès de Phil. Un festival porte son nom dans le comté de Wexford. Parmi les précurseurs du style irlandais à l'harmonica, notons aussi John Gavin, Austin Berry, Eddie Clarke, Mary Brogan ou Noel Battle.

1958 – Phil Murphy “Greig's Pipes”
1975 – Eddie Clarke “Paddy Fahy's Reel”
1977 – Mary Brogan “The Blooming Meadows Jig”
2010 – Austin Berry “The Stack Of Wheat”
2014 – Noel Battle “Patrick’s Night”
1925

1925  Concours en Australie

En octobre 1925 se déroule au Colisée de Ballarat en Australie un grand concours d’harmonica qui accueille 33 participants et un public de 3500 personnes. Les musiciens ont obligation de jouer sur le modèle “Boomerang” fourni par les organisateurs détenteurs de la marque. La seconde place revient à un certain H. Hirst que l'on retrouve à la direction d'un orchestre d'harmonicas en 1929. Mais le grand vainqueur est Percy Spouse, qui gagnait alors sa vie en jouant dans la rue, dans les écoles ou en accompagnant des films muets. Cette victoire lui permet d’obtenir un contrat d’enregistrement d'une dizaine de disques entre 1927 et 1936.

1927 – Percy Spouse “The Prisoner's Song”
1926

1926  Les disques de méthode

Le vice-président de Hohner USA, William J. Haussler, donne des leçons d’harmonica à la radio pendant la “Hohner Harmony Hour”, une émission diffusée par plusieurs stations de radio au milieu des années 1920. Il enregistre également en 1926 un disque pour apprendre l’harmonica, sans doute l’un des premiers du genre. On retrouve également un disque pédagogique sur l'harmonica, vendu avec instrument et livret d'instructions, enregistré vers 1939 par John Sebastian Sr. Après un travail sur la gamme et le jeu de langue, on peut par exemple y apprendre “Oh Susanna”.

1926 – Méthode de William Haussler
1939 – Méthode de John Sebastian “Oh Susanna”
1926

1926  L'instrument le plus vendu au monde

La politique agressive de Hohner en matière de communication continue avec de larges affiches à New York en 1924 vantant l'aspect bon marché de l'instrument et sa facilité d'apprentissage. Mais surtout, les chiffres de production annuelle de l'harmonica atteignent des sommets vertigineux en 1926 : 22 millions d'harmonicas allemands sont vendus aux États-Unis en une année, sur une population de 120 millions d'habitants, dont 24 millions d'adolescents. L’Amérique du Nord représente à elle seule 50% de l’exportation allemande en harmonicas — contre 10% pour le Royaume-Uni et 6% pour l’Inde. Ces résultats globaux de près de 50 millions d'unités produites par an font de l’harmonica l’instrument le plus vendu au monde dans cette première moitié du 20e siècle.
1926
-36

1926-36  Les orchestres d'harmonicas

Un des marqueurs du succès de l’instrument dans les années 1920 est la création de plusieurs grands orchestres d’harmonicas dans tous les États-Unis. L’initiative vient d’Albert Nixon Hoxie Jr, un riche marchand de textiles de Philadelphie, également violoniste et chef de chœur. En 1922, il est impressionné par un concours d’harmonica entre jeunes d’un camp de vacances et décide d’organiser lui-même une grande compétition dans toute la ville. Il recrute ensuite 60 jeunes harmonicistes âgés de 5 à 16 ans et forme le Philadelphia Harmonica Band, qui se retrouve en résidences estivales annuelles dès 1925. Le groupe participe à des concours, se produit en costumes militaires et joue en 1926 pour le président Coolidge. Il est régulièrement programmé à la radio et son succès donne naissance à plus de 4000 orchestres d’harmonicas dans le pays. Il est invité à jouer à la Maison Blanche en 1929 par le président Hoover et en 1933 pour l’inauguration de Roosevelt. Peu de temps après, les effets de la Grande Dépression se font sentir et le groupe cesse d'exister en 1936.

1930 – Le Philadelphia Harmonica Band
1931 – Le Philadelphia Harmonica Band
1927

1927  Le style blues

Dès le milieu des années 1920 le style de jeu “cross harp” (2e position) apparait sur les enregistrements, grâce notamment à DeFord Bailey, Henry Whitter ou Jaybird Coleman. On peut déjà entendre chez ce-dernier une grande partie des éléments qui contribuent encore aujourd’hui au langage de l'harmonica blues : vibrato de gorge, blue notes, placement des mains en sourdine, utilisation de l'accord soufflé pour expulser l’excédent d'air… Plusieurs générations d'harmonicistes blues utiliseront ces mêmes codes stylistiques. Citons Sonny Boy Williamson et son usurpateur Sonny Boy Williamson II, mais aussi Big Mama Thorton, Walter Horton, Howlin' Wolf, Junior Wells, James Cotton et Little Walter. Ce dernier est devenu dès 1951 une figure prédominante du style de Chicago — un jeu amplifié et saturé, accompagné par la batterie et la guitare électrique. Il aura aussi développé l'usage du chromatique et de la 3e position dans le blues.

1927 – Jaybird Coleman “Mistreatin' Mama”
1937 – Sonny Boy Williamson “Good Morning School Girl”
1951 – Little Walter “Juke”
1957 – Sonny Boy Williamson II “Eyesight to the Blind”
1961 – Sonny Terry “My Baby's Leavin'' (Live)
1965 – Junior Wells ”Hoodoo Man Blues“
1927

1927  Le style japonais

L'harmoniciste japonais Hidero Sato remporte le prix spécial du jury lors d'une compétition à Trossingen en Allemagne en 1927, ayant développé une technique de jeu polyphonique sur l'harmonica. Cette technique rejoindra un champ lexical riche et propre au jeu japonais sur l’harmonica double, perpétué par des joueurs comme Chiang-Ming Cheng ou Yoshio Morimoto. Notons ici les polyphonies, l'articulation en trémolo ou le jeu en unicorde.

1977 – Hidero Sato “Sakura No Waltz”
1993 – Yoshio Morimoto “Itsuki No Komoriuta”
1929

1929  L'accordage mineur

En 1929, Thomas Garlick “P.C.” Hopkinson est déclaré champion d'Angleterre d’harmonica et enregistre deux disques à Londres cette même année. L’extrait proposé ici est tiré de “Coisley Hill”, une marche de sa composition, jouée sur un harmonica accordé sur le mode mineur harmonique. Ces modèles existent depuis la fin du 19e siècle et sont notamment très utilisés au Japon et en Suède, parfois combinés avec un second harmonica dans la tonalité relative majeure pour pouvoir moduler aisément.

1929 – P.C. Hopkinson “Coisley Hill”
1929

1929  Le style québécois

En plein dépression au Québec, Mary Travers dite “La Bolduc” enregistre ses premières chansons, accompagnée de son harmonica. Elle avait appris le violon, le mélodéon et l’harmonica auprès de son père Lawrence Travers, un joueur de violon de souche irlandaise. Les chansons de Mary illustrent les conditions de vie et les pratiques culturelles des ouvriers de Montréal, et deviennent rapidement un succès auprès de ce public touché par la Grande Dépression. Elle fait aujourd'hui partie des nombreux précurseurs de l'harmonica traditionnel québécois.

1926 – Joseph Lalonde “Gigue”
1928 – Henri Lacroix “Montréal Reel”
1929 – La Bolduc “Reel de la Goélette”
1929 – Pit Paré “Clog Dance”
1976 – Wilbrod Boivn “Reel à Wellie”
1977 – Wilson Poirier “Reel des Noces d'Or”
1979 – Gabriel Labbé “Reel de Rivière-du-Loup”
1930ca

1930ca  Hohner s'empare de la concurrence

L'entreprise Hohner rachète en 1930 son concurrent Messner & Weiss après avoir fait de même en 1929 avec son plus grand rival, le fabricant Koch. Celui-ci produit près de 2 millions d'harmonicas chaque année et compte environ 1000 employés. De nos jours, seules deux entreprises allemandes fondées au 19e siècle sont toujours en activité : Hohner et Seydel.
1930 - 1950
Émancipation musicale et saturation du marché
1930
-40

1930-40  L'harmonica à l'école

L'harmonica trouve également sa place dans les écoles auprès des enfants américains à partir du début des années 1930. De nombreuses classes d'harmonicas se forment aux États-Unis, les instruments étant fournis par la société Hohner qui continue ainsi à étendre l'influence de sa marque. De petits orchestres d'harmonicas se forment donc et jouent en public sous la tutelle de leurs professeurs de musique. Cette pratique semble avoir perdurer en Amérique du Nord jusqu'à la fin des années 1950.
1931

1931  L'harmonica en Chine

En 1931, Pan Jinsheng crée la première entreprise chinoise de fabrication d'harmonicas, aujourd'hui connue sous le nom de GuoGuang. Mais l'instrument est déjà présent dans le pays depuis les années 1920 — des témoignages mentionnent des musiciens de rue jouant de l'harmonica, ainsi que des prestations interpretées sur cet instrument pendant les entractes de cinema. À Shanghai se monte notamment le China Harmonica Society qui regroupe en 1933 plus de 140 joueurs et joueuses d'harmonica.
1933
-34

1933-34  Le rejet du chancelier

La société Hohner produit en 1934 un court métrage de 14 minutes appelé “Liebe zur Harmonika” pour promouvoir l'harmonica et l'accordéon auprès des enfants. Elle fabrique dans le même temps des harmonicas aux emblèmes du parti nazi pour tenter de le faire reconnaître par le IIIe Reich. Mais le succès de l'harmonica chez les populations afro-américaines et sa proximité organologique avec la guimbarde — dite “harpe juive” ou “jew harp” en anglais — dissuadent les autorités de l'ériger en instrument officiel.
1934

1934  Les premiers collectages

Il existe plusieurs documents de fonds de collectages aux États-Unis permettant d'entendre de l'harmonica capté sur le terrain. En 1934 est réalisé en Louisiane le premier collectage d'harmonica par John Lomax auprès d'un joueur cajun, Ellis Evans, accompagné à la washboard. En 1938 son fils Alan Lomax enregistre dans le Michigan Hjelmer Forster, un immigré finlandais. Cette même année, Sidney Robertson Cowell enregistre en Californie Pat Ford sur un air irlandais. Deux decennies plus tard, d'autres enquêteurs comme Harry Oster s'interesseront de nouveau à l'harmonica.

1934 – Ellis Evans “When I Leave You Baby”
1938 – Hjelmer Forster “Kulkurin valssi”
1938 – Pat Ford “Paddy Got Drunk”
1938

1938  La propagande Buschmann

En 1938, Heinrich Buschmann, un proche du parti nazi, annonce dans un traité destiné à proclamer la supériorité supposée de la “race aryenne”, que son ancêtre Friedrich Buschmann aurait inventé en 1821 un instrument appelé “aura”, à l'origine de l'harmonica. Mais aucun document ne vient témoigner de la véracité de ses affirmations. La date de 1821 a probablement été falsifiée pour des raisons de propagande, faisant de Buschmann, un allemand de surcroît, l'inventeur de l'harmonica. L'information continue pourtant de circuler encore aujourd'hui, souvent sans être remise en question. Car si Friedrich Buschmann déclare en effet dans une lettre de 1828 qu'il venait d'inventer un nouvel instrument, il ne peut être à l'origine de l'harmonica car des documents attestent déjà de la présence de cet instrument à Vienne en 1824 ainsi qu'à Brunswick en 1823.
1939
-45

1939-45  La Seconde Guerre mondiale

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la section féminine de l'armée brittanique — dite ATS — est chargée d'envoyer de l'équipement aux soldats à l'étranger. Dans l'inventaire du matériel requis, on compte environ 20 000 objets de types mitaines, moufles ou casques, mais également plus de 6000 harmonicas dont certains sauveront des vies de façon inattendue…
1940
-44

1940-44  Les bals clandestins en France

En France, le régime de Vichy interdit les bals populaires dès l'été 1940. Les instruments de musique plus discrets et moins sonores que l'accordéon deviennent parfaits pour faire danser de petits groupes dans les granges ou les arrière-cours des cafés de campagne, sans se faire repérer par les gendarmes. C'est le cas du violon, mais aussi de l'harmonica qui servait par exemple à animer des bals sous l'occupation à Montbrison dans la Loire. Le cabrettaire Jean Bona témoigne également avoir fait danser à l'harmonica dans les bals clandestins à Malbo dans le Cantal lorsqu'il était adolescent. Même après la guerre, l'instrument a continué d'être pratiqué en contexte de bal pendant un temps avant de retomber petit à petit dans la désuétude.

1976 – Pierre Rousset “Jolie Meunière”
1990 – Guy Crumeyrolle “La Moussageoise”
2001 – Jean Bona “D'où venez-vous Pierre ?”
1942
-50

1942-50  Les trios d'harmonicas

En 1942 débute une longue grève de l'American Federation of Musicians qui décide de stopper ses enregistrements de disques pour protester contre la concurrence des juke-boxes et des diffusions radio qu’elle estime déloyales. Ce sont alors les musiciens non affiliés qui vont continuer à enregistrer, notamment ceux dont les instruments sont jugés trop amateurs pour l'AFM — scie musicale, kazoo, ukulele, harmonica… Prévoyant une nouvelle grève en 1948 mais souhaitant cette fois le ralliement des harmonicistes, l'AFM déclare reconnaître officiellement ces derniers comme de véritables “joueurs d'instruments de musique”. Mais les deux années de grève entre 1942 et 1944 auront donc favoriser l'enregistrement de plusieurs harmonicistes américains, comme notamment le trio Harmi-Kings, ce qui va relancer une mode pour ce genre de formations. En France par exemple, le premier Trio Albert Raisner se forme en 1943 et aura une forte popularité jusqu'à la fin des années 1950. En 1945, Albert Raisner crée le “Charm”, un club d'harmonica parisien où se sont formés quelques harmonicistes français comme Jean Labre.

1947 – The Philharmonica Trio “Two O'Clock Boogie”
1955 – Trio Raisner “Touche Pas Au Grisbi”
1949

1949  La prise de Shanghai

En Chine, les communistes s'emparent de Shanghai en 1949 et interdisent notamment les instruments de musique considérés “impérialistes”, comme l'harmonica. Cependant de nos jours, suite à la demande du gouvernement, les enfants apprennent la pratique instrumentale dès l'école primaire et doivent choisir entre l'harmonica et la flûte à bec.
1950 - 2020
Déclin de popularité et maintien d'un marché de niche
1950ca

1950ca  Un monde qui change

En 1950, 20 millions d'harmonicas sont encore produits à Trossingen, mais les habitudes culturelles de la jeunesse et les goûts musicaux ne vont pas permettre de relancer au plus haut l'intérêt du public pour l'harmonica. L'arrivée des lecteurs de disques, des radios portables et de la télévision va changer la manière dont on consomme de la musique. Les adolescents préféreront acheter des disques plutôt que des instruments. Les ventes d'harmonicas vont stagner puis retomber doucement. Hohner soutient alors la création en France en 1950 de la Fédération Internationale d'Harmonica dont le but est de créer des championnats à portée mondiale.
1953

1953  Manji Suzuki

Passionné d'harmonica depuis l'école primaire, le japonais Manji Suzuki a travaillé à la fabrique d'harmonicas de Kawai Musical Instruments dans sa ville natale de Hamamatsu. En février 1953, il quitte Kawai et fonde sa propre entreprise, Suzuki. L'accent est mis principalement sur les instruments pédagogiques pour l'éducation musicale destinés aux écoles élémentaires et aux jardins d'enfants, tels que l'harmonica ou la flûte à bec, ainsi que progressivement quelques autres instruments de musique.
1956

1956  Le style suédois

Si les musiques traditionnelles en Suède se sont beaucoup transmises au violon et au nyckelharpa, l'harmonica a également représenté un rôle certain dans le patrimoine musical du pays, notamment dans les régions du Jämtland et d'Uppland. Des harmonicistes comme Elias Jonsson ou Skogsby-Lasse avaient un large répertoire et faisaient danser aussi bien seuls qu'accompagnés de violoneux. Les collectages et la discographie nous font entendre l'utilisation d'harmonicas diatoniques simples ou doubles, tantôt majeurs ou mineurs, voire un subtil mélange des deux.

1973 – Elias Jonsson “Lapp-Nils Polska”
1976 – Sven Larsson “Eklundapolska nr. 3”
1996 – Skogsby-Lasse “Polska i H-moll”
2009 – Håkan Larsson “Oles Polska av Viksta-Lasse”
1962

1962  Le folksong américain

En 1962 sort le premier album de Bob Dylan, qui fait entendre l'harmonica diatonique joué de manière acoustique et brute, sans virtuosité, sur un porte-harmonica comme au début du siècle. Le chanteur touche alors un public qui n'avait souvent plus entendu d'harmonica diatonique depuis la mode du chromatique des années 1950. D'autres chanteurs nord-américains utiliseront harmonica et guitare pour porter leur musique, comme par exemple Neil Young. En France, le “folk revival” venu des États-Unis va également relancer l'intérêt pour l'harmonica diatonique, avec des chanteurs comme Hugues Aufray en 1964 ou Antoine en 1966.

1962 – Bob Dylan “Pretty Pegga”
1971 – Neil Young “Heart of Gold” (Live)
1976 – Bob Dylan “I Want You” (Live)
1965

1965  L'harmonica dans l'espace

C'est en décembre 1965 qu'a lieu de façon impromptue et humoristique la première diffusion musicale depuis l'espace. Celle-ci fait de l'harmonica le premier instrument de musique à être utilisé en orbite, avec “Jingles Bells” (Vive Le Vent) joué en surprise par l'astronaute Walter Marty Schirra lors de la mission de rendez-vous spatial Gemini 6A. Il utilisait alors un tout petit harmonica à 4 trous, accompagné de quelques grelots.

1965 – Walter Schirra “Jingle Bells”
1967

1967  Les championnats du monde

Alors soutenus par la Confédération Française de l'Harmonica présidée par Jean Labre, des cours d'harmonica sont prodigués dans les années 1960 par Gérard Margnioux au conservatoire des Gobelins établi sous la mairie du 13e arrondissement de Paris. En juin 1967, l’ensemble d'harmonicas du conservatoire remporte la médaille d'or aux Championnats du Monde de Karlsruhe en Allemagne, avec des extraits de Carmen de Bizet arrangés par Pierre Rochat. En effet depuis 1953 des championnats internationaux s'organisent partout dans le monde, puis essentiellement à Trossingen.
1969

1969  L'émancipation du diatonique

L’harmoniciste et pianiste américain Howard Levy découvre fin 1969 une nouvelle technique permettant d’obtenir des notes que les altérations usuelles ne permettent pas d’atteindre sur le diatonique. Il nomme cette technique “overblow”' bien qu’il regrette aujourd’hui ce terme qui porte à confusion. On pouvait déjà entendre un overblow en 1929 sur “Mean Low Blues” par James Simons, mais la technique n’avait jamais été développée depuis. Howard Levy la perfectionne donc pour aborder l’instrument de façon chromatique. Mais ce n'est qu’à partir de 1992 avec la sortie de sa cassette pédagogique “New Directions for Harmonica” que ces overnotes deviendront de plus en plus utilisées par d'autres précurseurs, d'abord dans le jazz, puis le blues et les musiques traditionnelles.

1929 – James Simons “Mean Low Blues”
1983 – Howard Levy “Lady, Be Good” (Live)
2005 – Sébastien Charlier “La Bastide”
2016 – Marko Jovanović “Jasmin”
1974

1974  Une nouvelle génération

Dès les années 1970, le parisien Jean-Jacques Milteau se distingue dans le blues et le bluegrass avant d'accompagner sur scène et en studio un grand nombre de chanteurs français. Fortement influencé par les harmonicistes d'avant et d'après-guerre, il enregistre une dizaine d'albums instrumentaux, publie plusieurs méthodes pédagogiques et obtient en 1992 la première “Victoire de la Musique” décernée à un album d'harmonica. En 1994 il créé à Paris un club d'harmonica dans le quartier de Montparnasse. De par son action et son rayonnement en France, il est celui qui a inspiré, initié ou formé toute une nouvelle génération d'harmonicistes amateurs et professionnels, parmi lesquels beaucoup enseignent à leur tour aujourd'hui.

1974 – Jean-Jacques Milteau “Black Mountain”
1991 – Jean-Jacques Milteau “Blues Harp Saga”
1995 – Jean-Jacques Milteau “Rue Doisneau”
1977
-97

1977-97  La crise de l'harmonica

En 1977, la société Hohner ne produit plus que 80 000 harmonicas par an. C'est le début d'une crise pour l'entreprise. En 1986, elle produit son milliardième harmonica, mais n'a plus que 1000 employés. Vers 1987, Hohner se voit contrainte de revendre toute sa collection historique de 25 000 instruments au Land allemand de Bade-Wurtemberg, mais aussi à délocaliser l'ensemble de sa production à Shanghai. En 1991, le Musée Hohner de l'harmonica ouvre à Trossingen. En 1997, le fabricant taïwanais d'instruments de musique KHS reprend la majorité des actions Hohner. En 2004, c'est au tour de la société Seydel d'être rachetée par un investisseur allemand alors qu'elle se trouvait au bord de la faillite. La marque Seydel se focalise depuis sur le marché de niche avec des accordages personnalisés et une boutique en ligne, ce qui lui permet de se distinguer de la concurrence. En 2014, tandis que 340 employés travaillent encore sur le site de Trossingen, le rachat complet de Hohner par KHS est acté et l'entreprise allemande n'est désormais plus côtée en Bourse. Après une période difficile dans les années 1990, Hohner est aujourd'hui de nouveau considérée comme une référence sur le marché, grâce notamment à des harmonicas haut de gamme de qualité bien supérieure à celle de ses années de crise.
2020ca

2020ca  L'harmonica dans le monde

En 2019, une étude commerciale dénombre plus de 3 millions d'harmonicas vendus dans le monde — toutes marques et tous modèles confondus — contre 2,9 millions de guitares. L'harmonica reste, de peu, l'instrument le plus vendu au monde, avec néanmoins des chiffres 15 fois moins importants qu'au siècle passé. Mais l'exportation mondiale du début du 20e siècle aura permis à l'harmonica de trouver sa place dans un grand nombre de cultures musicales au fil du temps. Citons ici quelques exemples d'aires culturelles qui n'ont pas encore été mentionnées dans cette chronologie.

1954 – Argentine – Hugo Díaz “La Compañera”
1970 – Turquie – Balarısı Ahmet “Hicaz Mandıra”
1975 – Angola – Bonga Kuenda “Rebita”
1989 – Angleterre – Will Atkinson “Miss Forbes' Farewell”
2009 – Roumanie – Ioan Constantin “La Casa Cu Trestioara”
2021 – Klezmer – Jason Rosenblatt “Skocne”
2021 – Inde – Shubhranill Sarkar “Raga Jog”

— Sources —
British Broadcasting Corporation | Berea Sound Archives | Bibliothèque de Genève | Bibliothèque et Archives Canada | Chicago Unbound Collections | Chromatic Harmonica History | Centre des Musiques Traditionnelles Rhône Alpes | Collection du Musée de la musique | Comhaltas Traditional Music Archive | Dastumedia | Deutsches Harmonikamuseum | Discogs | Encyclopædia Universalis | Google Arts & Culture | Harmonica Riff Raff | Immigrant Entrepreneurship | Irish Harmonica Champions | John and Alan Lomax in Louisiana | L’encyclopédie canadienne | Le livre de l’harmonica | Library of Congress | Military History Matters | Musical Traditions | National Association of Music Merchants | National Music Museum | Pat Missin’s website | Portail du patrimoine oral | RareTunes | Santa Cruz Sentinel | Society for the Preservation and Advancement of the Harmonica | University of Mississippi’s Institutional Repository | Wikipedia | Yesterday Pages | York University’s Institutional Repository | YouTube

— Légende —

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